Règlement du recours collectif

Un lundi matin ordinaire de juin 1985, le sergent-chef Wayne Davis a été convoqué dans le bureau de son commandant au quartier général ontarien de la Gendarmerie royale du Canada, à Toronto

«Ils m’ont simplement convoqué dans les
bureaux et m’ont dit : « On vous a vu dans un
bar gai la fin de semaine dernière. Pourquoi
étiez-vous là? » J’étais fatigué de tout ça,
fatigué de cacher mon homosexualité, fatigué
de surveiller mes arrières tout le temps. Je
n’avais pas d’énergie pour ça. Alors je leur ai
dit que j’étais dans un bar gai parce que je suis
gai. Et ils m’ont répondu : « Bien, comme notre
politique est de ne pas avoir de gais à la GRC,
vous pouvez démissionner ou être congédié ».
Point final.»
À l’époque, M. Davis avait choisi de
démissionner pour préserver sa dignité.
Il a quitté le bureau et mis un terme à ses
17 ans de carrière à la GRC cet après-midi-là.
Contrairement à de nombreux autres membres
de la fonction publique et des Forces armées
qui ont perdu leur emploi entre les années 1960 et 1990 en raison de leur sexualité ou de
leur sexualité présumée, M. Davis explique qu’il
n’avait probablement pas été suivi ni fait l’objet
d’une enquête, mais qu’il s’est fait prendre
lorsque des collègues de la GRC l’ont vu et
reconnu alors qu’ils effectuaient une descente
de police standard dans les bars de Toronto
cette fin de semaine là.
«J’ai toujours voulu croire que ce n’était
qu’une discussion à la pause-café qui est
remontée jusqu’à mes supérieurs et que, une
fois arrivée au sommet de la hiérarchie, ils
n’avaient plus d’autre choix. Je frémis à l’idée
que l’une de mes connaissances soit arrivée
au bureau lundi matin et se soit précipitée
pour dire au commandant qu’on m’avait vu
dans un bar gai et qu’il valait mieux qu’on se
débarrasse de moi. J’aime donc croire à cette
histoire, ça m’aide à gérer.»

M. Davis admet que son histoire est on ne
peut plus claire. Il faisait partie de l’équipe,
puis on l’a mis dehors. Mais des centaines,
voire des milliers d’autres membres des
Forces armées canadiennes (FAC), de la GRC
et de la fonction publique fédérale n’ont pas
eu cette chance lorsqu’ils ont été pris dans
ce qu’on appelle désormais la purge LGBT
(lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres).
LA PURGE
Jusqu’au début des années 1990, peu de
Canadiens soupçonnaient leur gouvernement
de se livrer à une discrimination systématique
contre les homosexuels, lesquels étaient
considérés par l’appareil de sécurité du
gouvernement comme souffrant d’une
«faiblesse de caractère» qui les exposait à
un risque de chantage de la part d’agents
«ennemis». Un reportage publié en 1992
par le journaliste de la Presse canadienne
Dean Beeby, à la suite de la publication de
documents gouvernementaux explosifs, a
montré que la GRC avait, en 1959, «lancé une gigantesque chasse aux hommes
homosexuels» à Ottawa. La «chasse» a forcé
de nombreux fonctionnaires à vivre une double
vie de peur d’être sanctionnés, licenciés,
transférés ou privés de possibilités. La GRC
les a surveillés et interrogés — ainsi que leur
famille, bien souvent —, dans le but d’obtenir
les noms d’autres homosexuels présumés.
Jusqu’à la fin des années 1990, les jeunes
hommes et les jeunes femmes des Forces
armées canadiennes (FAC) soupçonnés
d’homosexualité étaient harcelés, faisaient
l’objet d’enquêtes et étaient souvent
embarqués de force au milieu de la nuit,
branchés à des détecteurs de mensonges
et interrogés pendant des jours dans des
endroits obscurs par des membres de l’Unité
des enquêtes spéciales (UES) de la police
militaire. À la suite de ces interrogatoires
invasifs et traumatisants, bon nombre
d’entre eux — en vertu de l’Ordonnance
administrative des Forces canadiennes (OAFC)
19-20 intitulée Homosexualité — Enquêtes
sur la déviation sexuelle (Examen médical et
mesures à prendre) — ont été renvoyés des
FAC. Avant même d’avoir vraiment commencé,
leur carrière et leur vie ont été ruinées.
Pendant des décennies, quelques personnes
courageuses ont tenté par elles-mêmes de
demander réparation ou d’obtenir des excuses
ou des réponses du gouvernement et des
militaires, mais en vain.
La première à contester ouvertement son
expulsion des forces armées parce qu’elle était
lesbienne a été Barbara Thornborrow. En mai
1977, elle a fait l’objet d’une enquête de l’UES
et a reçu un ultimatum lui intimant d’admettre
qu’elle était homosexuelle, entraînant de
facto son expulsion, ou d’accepter de voir
un psychiatre. Elle a refusé et a rendu son
cas public, notamment en se présentant sur
la Colline du Parlement lors des audiences
relatives à la Loi sur les droits de la personne.
Peu de temps après, Mme Thornborrow a été
congédiée parce qu’elle «ne pouvait être
employée avantageusement», une mention
inscrite fréquemment sur les documents
officiels de démobilisation dans ces cas-là.
Un groupe de lesbiennes de la Marine de TerreNeuve a également été purgé cette année-là.
Malgré la publicité entourant ces événements,
rien n’a changé.
Martine Roy a été soumise à de multiples
interrogatoires humiliants et dégradants de la
part de l’UES et a été bercée de faux espoirs
pendant des années jusqu’au jour où, en
décembre 1984, elle a été convoquée au bureau
de la base des FAC Borden, où elle suivait une
formation pour devenir adjointe médicale, pour
se faire dire qu’elle avait neuf jours pour faire
ses valises et s’en aller. On lui a dit qu’elle était
une déviante sexuelle et qu’elle était démobilisée
pour cause d’homosexualité. Mme Roy est
rentrée chez elle, au Québec, brisée. Pendant
des années, elle a lutté contre la toxicomanie, a
suivi une thérapie intensive, a eu de la difficulté
à maintenir des relations et a vécu dans un état
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